J+352 — Luxmore Hut, un petit bout de Kepler
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Je traîne des pieds, je mets du temps à me décider, j’hésite et remets à demain. Il ne reste plus qu’une douzaine de jours à raconter, mais je fais traîner. C’est qu’en réalité quand j’aurai terminé de raconter ce voyage, il sera vraiment terminé, pour de bon. Et j’ai du mal à m’y résoudre. Cela explique en partie pourquoi je mets plus de temps à écrire ce récit qu’à voyager réellement. Mais ma lenteur à écrire s’explique également par l’intensité de ce mois passé en Nouvelle-Zélande, avec chaque jour des paysages magnifiques et des randonnées exceptionnelles. C’est très dense et à chaque fois que je me replonge dans mes souvenirs pour raconter une journée de plus tout m’est incroyablement familier et proche, comme si c’était encore hier.
Niveau intensité cette journée du jeudi 24 octobre 2013 n’est pas mal placée. Nous devions faire une partie du Kepler Track, sentier de grande randonnée de 60 km normalement réalisé sur 4 jours. Pour cela il faut juste s’acquitter de 3 nuits en hutte, à 54$ la nuit ce n’est pas donné pour dormir en dortoir avec des touristes qui ronflent. Mais faire une partie de cette rando sur une journée c’est gratuit, et ça tombe bien car dans notre agenda serré on n’a pas le temps de faire 4 jours de rando au même endroit. Notre plan pour ce jour est donc de partir du parking à côté de Te Anau pour rejoindre Luxmore Hut, première étape du Kepler Track et redescendre tranquillement.
Notre bouquin de randonnée (202 Great Walks in New Zealand) nous indiquait une balade de 18 kilomètres pour 7 à 8 heures aller-retour avec une ascension de 1.000 mètres. C’est pas mal mais ça nous semblait réalisable. Jusqu’à ce qu’on arrive au parking, où le panneau indique que la distance du parking à Luxmore Hut est en réalité de 14 kilomètres, soit 28 kilomètres aller-retour. Ce n’est pas la première fois que ce livre donne des infos très hasardeuses et de mauvaise qualité, je suis déçu mais bon il en faut plus pour nous décourager. On part donc pour grimper 14 kilomètres, des rives du lac Te Anau aux crêtes désertiques du Mt Luxmore.
Le temps est frais mais il ne pleut pas, et malgré que le sentier soit parfois un peu humide cela reste gérable, les premiers kilomètres sont même gravillonnés, et le chemin est bordé de rigoles visant à drainer l’eau de pluie pour ne pas transformer le sentier en bain de boue. Alors c’est moins joli et agréable qu’un petit sentier discret mais au moins c’est tranquille, et c’est là qu’on apprécie l’aménagement des Great Walks. On progresse donc rapidement dans la forêt, c’est facile et relativement plat. On rejoint un camping de randonnée au bord du lac (avec toilettes sèches et abri pour faire la cuisine, pas mal), et juste après les choses commencent à devenir légèrement différentes.
Si des sources jaillissent d’entre les racines des arbres qui jalonnent le sentier, ce n’est pas un problème grâce aux tranchées creusées, mais le problème c’est plutôt l’ascension : ça grimpe fort, et ça ne semble jamais vouloir s’arrêter. On se fait dépasser par une joggeuse, on se dit que vraiment ces néo-zélandais sont fous : comment peut-on courir en montée, pendant près de 10 kilomètres ? ! Il faut être maso.
Les lacets s’enchaînent sans fin et puis peu avant la traversée d’une petite falaise à l’aide d’un escalier on croise une équipe du DOC qui creuse des tranchées, mais en rejetant la terre sur le chemin, probablement pour lutter contre l’érosion. Mais cela a pour effet de transformer le chemin en magma boueux et glissant. Bon on a vu pire, et on surmonte l’épreuve sans souci, et quelques kilomètres plus loin on voit enfin une trouée dans l’épaisse forêt de lichens qui ressemblent à de la barbe à papa verte. Ça y est on dépasse enfin le bushline, cette ligne de démarcation entre forêt et végétation sub-alpine. En sortant de la forêt protectrice un autre élément nous ralentit : le vent.
Certes les paysages sont magnifiques, à couper le souffle, mais ce qui nous le coupe également ce sont les bourrasques qui nous empêchent d’avancer. Le vent est si fort que nous sommes souvent déséquilibrés quand nous essayons d’avancer, et que parfois il réussit à nous faire reculer de trois pas quand nous venons d’en faire un. Ce combat est épuisant et c’est avec soulagement que nous apercevons enfin Luxmore Hut, nichée à flanc de montagne.
La hutte est vide, déserte, aucun des 60 lits n’est occupé. Nous profitons de notre solitude pour manger et nous reposer sur les banquettes dans la salle collective, qui est probablement la cantine avec la plus belle vue du monde. Ah si j’avais eu ça au lycée, je serais plus souvent venu en cours… Dans le refuge la température est encore douce, probablement le résultat du poêle qui a été allumé ce matin par les randonneurs. Même éteint depuis plusieurs heures il rayonne encore légèrement. La chaleur nous berce et pour peu nous pourrions bien faire une sieste réparatrice.
Mais il n’en est pas question, car nous voulons aussi explorer une grotte proche d’ici. À 10 minutes de la hutte se loge donc Luxmore Cave, trou sombre et inattendu dans le flanc de la montagne. Il faut s’enfoncer dans les profondeurs à la lumière de la torche, en faisant attention au ruisseau qui passe sous nos pieds, et surtout à ne pas toucher les parois, stalactites et autres formations qui ont mis des milliers d’années à se former et pourraient être détruites au contact des germes et bactéries présentes sur notre peau.
Nous ne sommes pas très rassurés, c’est notre première exploration de grotte, et s’enfoncer ainsi dans un espace exigu, sombre et inquiétant. Un endroit où notre seule survie est assurée par une petite torche. De ce fait nous n’irons pas plus loin que quelques centaines de mètres, mais nous sommes quand même ébahis par la beauté du lieu et la possibilité de l’explorer sans aucun équipement. Un vrai plaisir.
De toutes manières le temps commence à se faire pressant, étant donné qu’il est déjà 15h20 et qu’il nous faut encore 3 à 4 heures pour redescendre jusqu’au parking. On se remet ainsi en route mais cette fois le vent est dans notre dos, la marche est bien plus facile. Nous croisons les premiers marcheurs qui vont passer la nuit à Luxmore Hut et entamons une descente en forêt qui semble ne jamais vouloir finir. Puis finalement nous parvenons au camping du bord du lac, signe qu’il ne reste plus qu’une poignée de kilomètres de plat avant de retrouver le van. Nous passons quelques instants pour manger une barre de céréales et admirer le lac et surtout écouter le bruit de ses vagues, si grosses qu’on se croirait presque en bord de mer.
Après 8 heures de marche nous retrouvons la voiture, bien soulagés de pouvoir nous asseoir et nous reposer enfin, après cette randonnée-marathon.
Nous reprenons la route vers le camping de Lake Monowai, un peu plus au sud, en repensant déjà avec nostalgie aux paysages de la journée, des souvenirs qui je l’espère nous suivront toute notre vie…