J+340 & J+341 — Dans l'enfer humide de Kahurangi NP
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Avant de prendre le ferry pour l’île sud nous avons profité de l’attente à Wellington pour faire des courses, prendre une douche (la première en NZ !) et visiter la boutique Weta, le studio d’effets spéciaux de Peter Jackson. Dans la boutique il y a quelques costumes et accessoires réalisés pour les films de Peter Jackson, mais aussi « District 9 » ou Narnia. Ce n’est pas très passionnant, c’est surtout fait pour vous vendre des figurines et autres livres autour des films.
Le ferry est moins grand que celui pour la Tasmanie, et la traversée est un peu longue vu la distance. Pour 92 kilomètres le ferry met plus de 3 heures, la faute à l’étroit fjord qui permet d’atteindre Picton sur l’île sud. L’avantage c’est que c’est suffisamment court pour que je ne sois pas malade, ouf. L’arrivée à Picton nous refroidit : on pensait trouver une ville de moyenne taille avec les services qu’on peut attendre d’une ville étape aussi importante vu que c’est le seul point de passage entre l’île nord et l’île sud. Mais nous nous retrouverons à batailler sous la pluie et tourner en rond pour trouver une laverie et faire notre lessive. Finalement c’est un petit motel qui accepte que nous utilisions sa machine à laver et son sèche-linge. Le seul problème c’est qu’après deux heures au sèche-linge notre linge n’est toujours pas sec. Il est déjà 22h30, on décide qu’il est quand même temps de partir rejoindre notre camping pour la nuit avant d’être trop crevés pour conduire la trentaine de kilomètres qui nous sépare du camping.
La route est étroite et serpente dans la montagne pour rejoindre Mahau Sound. De plus les phares de notre van de location sont fatigués et n’éclairent pas suffisamment, ce qui nous oblige à rouler au ralenti. Mais c’est justement ce qui nous permettra d’éviter de justesse un kiwi traversant la route juste devant nous. Ce célèbre oiseau est le symbole du pays, alors qu’il n’est pourtant pas des plus gracieux avec sa démarche ridicule.
On arrive sous la pluie et dans la nuit noire au camping, dont l’herbe est gorgée d’eau. On a l’impression de marcher sur une éponge et on se dépêche de se brosser les dents avant de rejoindre l’humidité du van où nos vêtements sèchent encore.
Au matin la pluie a cessé. Il fait froid mais le ciel est dégagé et un beau soleil nous attend. La vue du bras de mer au réveil est très belle, tellement que nous nous tromperons en repartant et roulerons dans la mauvaise direction sur trente kilomètres avant de faire demi-tour plutôt que de continuer en direction d’un cul de sac à Charlotte Sound.
La journée est belle, on s’arrête un peu en cours de route pour admirer un bras de mer. On part en direction de Kahurangi National Park, et la route nous fait tourner la tête avec toutes ces montagnes à gravir en sinueux lacets. Après une dernière descente et des virages qui obligent à ralentir à 10 km/h on arrive à Takaka où nous quittons la State Highway pour rejoindre une petite route qui doit nous emmener 38 kilomètres plus loin au départ de la première des deux randonnées sur deux jours que nous avions prévues, à Cobb River.
Si le temps était particulièrement clément jusqu’ici alors que nous longions de loin le littoral ça ne va pas durer. Nous roulons des kilomètres et des kilomètres sur la plus étroite des routes qu’on ait vu jusque-là. Cette route gravillonnée est à peine assez large pour une seule voiture et a été creusée au milieu d’une falaise. Nous sommes donc bloqués entre la falaise d’un côté et le gouffre de la gorge de l’autre. Comme la route suit le relief souvent nous passons des virages aveugles : impossible de savoir si une voiture va débouler de l’autre côté du pan rocheux qui nous cache la vue. Oh et évidemment il n’y a aucune barrière de sécurité. C’est un parcours stressant, mais c’est encore pire après avoir passé la centrale hydroélectrique, où nous rencontrons une flaque d’eau profonde de 25 centimètres au détour d’un virage. On s’arrête pour aller sonder, alors qu’il y a à peine la place pour passer pour une personne entre la voiture et la gorge, et on décide de passer quand même, vu que de toutes manières il est impossible de faire demi-tour ici, et pas question de rouler en marche arrière plusieurs centaines de mètres sur cette route. Bref la seule solution c’est d’avancer. Et ça passe, ouf. Nous finissons par quitter le bord du ravin pour entamer des virages en lacets pour grimper jusqu’à un point de vue sur le lac artificiel de la Cobb River.
Ici le temps semble s’être déjà largement dégradé et le brouillard visible au loin ne laisse rien augurer de bon. On est venus jusque-là, on va pas s’arrêter maintenant. On redescend donc en lacets jusqu’à la rive du lac. On se gare à côté de Trilobite Hut. Le temps est vraiment moche. Il pleut, il fait froid et le brouillard entoure les sommets enneigés des montagnes alentour. Mais on a vraiment envie de faire cette balade, alors on s’équipe, on charge les sacs à dos et on part sur le sentier. On se dit qu’il ne pleut pas tant que ça.
C’est clairement une erreur. Le sentier est inondé. En forêt il est transformé en ruisseau. Mais le pire c’est quand on passe dans des clairières. Le sol est saturé d’eau, et le sentier est sous 20 à 30 centimètres d’eau. On a déjà les pieds mouillés à la première clairière mais on tient le coup. Mais au bout de quelques passages marécageux où nous devons mettre les pieds dans 30 cm d’eau froide on s’arrête et je propose de faire demi-tour : nous ne sommes qu’à 45 minutes de marche sur une rando de 4 heures et nous avons devant nous un torrent profond de 50 à 60 cm qui inonde le sentier et bien sûr il n’y a aucun moyen de contourner. Il faut se rendre à l’évidence : les conditions sont trop mauvaises, le sentier trop inondé et nous ne sommes pas suffisamment équipés pour faire face à ça.
On fait donc demi-tour, déçus et frustrés. Notre idée était de parcourir les 12 kilomètres dans la vallée pour rejoindre Cobb Hut, un refuge de 4 places gratuit, et y passer la nuit avant de revenir le lendemain. Sur le papier ça ne semblait pas une aventure extrême. En pratique c’est différent, et devant la météo néo-zélandaise nous avons dû renoncer. Non pas que traverser un petit torrent soit impossible, mais c’est surtout penser à la taille des cours d’eau qui pourraient suivre, et aussi à la taille de ce même torrent demain après 24 heures de pluie de plus, s’il s’avérait infranchissable nous aurions été bloqués. Et vu tous les avertissements néo-zélandais, on commence à être relativement prudents quand même.
De retour à Trilobite Hut on se change et on fait sécher nos chaussures trempées au dessus du poêle allumé par une famille qui passe quelques jours dans la hutte. En discutant avec le monsieur on apprend que ça fait des jours qu’il pleut ici, que les nuits sont très froides, qu’il a même neigé le jour d’avant et que la rivière fait cinq fois sa taille habituelle. Ah, bon on a peut-être bien fait de ne pas aller là-bas alors. Oui mais on aimerait quand même bien faire une nuit en refuge dans ce pays nous quand même.
On jette ce qui nous restait de courage et de motivation dans un nouveau projet improvisé : rallier Myttons Hut, sur le sentier pour Lake Peel. Cette autre hutte gratuite n’est qu’à 15-20 minutes de marche du parking, qui lui-même est à 10 minutes de marche de Trilobite Hut. Et Myttons Hut a une cheminée, contrairement à Cobb Hut. Vu qu’il est 16h on a largement le temps d’atteindre la hutte et voir si on peut y rester pour la nuit. Dans un dernier élan d’espoir on renfile nos chaussettes et chaussures trempées, on va garer le van au départ du sentier de Lake Peel et on part marcher jusqu’à Myttons Hut avec nos gros sacs à dos. Le sentier est un peu moins inondé que le précédent, mais juste un peu. On arrive à la jolie cabane, un peu en hauteur sur le flanc de la montagne, avec une petite vue sur le lac et la vallée.
On laisse les sacs à dos à la hutte puis on s’occupe de chercher du bois pour faire du feu. Comme on le sait maintenant très bien le coin est saturé d’humidité, alors il est évidemment impossible de trouver du bois sec, mais à défaut on cherche le bois le moins gorgé d’eau. On en trouve un peu. Anne scie un tronc d’arbre mort pendant que je tente tant bien que mal de fendre du bois à la hache. Ce n’est pas facile à avouer mais je crois que définitivement je suis un mauvais bûcheron. Il m’est en effet très difficile de réussir à couper ou fendre quoi que ce soit. Le seul avantage c’est que je suis vite réchauffé, malgré le fait que je sois trempé jusqu’aux os. Enfin sauf les mains. Elles sont rouges et je ne les sens plus. Il est donc temps de faire du feu.
Mais malgré notre enthousiasme et l’énergie déployée on n’y arrive pas. Déjà que j’avais du mal à allumer une cheminée ou un poêle avec du bois sec, ici dans une cheminée humide où il pleut avec du bois mouillé c’est peine perdue. On essaye pendant une heure, on y arrive un peu puis ça s’éteint. On finit par abandonner. On mange des nouilles chinoises cuites au réchaud pour se réchauffer et on discute et on réfléchit : on a froid, la température risque de tomber en dessous de 0°C cette nuit, si ce n’est pas déjà le cas. Or mon sac de couchage ne va que jusqu’à 1°C et celui d’Anne jusqu’à 7°C, et ça c’est en étant complètement habillé dedans. Autant dire qu’on a peur d’avoir un peu froid cette nuit. Il fait encore un peu jour. On décide donc de jouer la sécurité et rentrer dormir dans le van où nous avons une couette de plus pour nous réchauffer. On remballe nos affaires, on remet nos chaussures mouillées et on revient au van, où on a toute la difficulté du monde à trouver de la place pour étendre nos affaires mouillées. On fait le lit et on se réfugie dans nos duvets pour la nuit. On se dit qu’au moins on aura essayé et bien essayé de dormir en hutte cette nuit, mais que les éléments étaient contre nous. Mais ça commence à faire beaucoup de balades auxquelles on doit renoncer…
Le lendemain le temps n’est pas plus clément. Si au bout du lac Cobb on peut voir un beau ciel bleu et le soleil, nous sommes toujours sous le brouillard, le gris et le froid. Mais on décide de quand même suivre le plan qu’on avait prévu et de grimper le sentier jusqu’à Lake Peel : on ne s’est quand même pas tapés 40 bornes de route étroite au bord du précipice pour repartir direct !
Pour la énième fois nous renfilons nos chaussures-éponges et repartons marcher sur les sentiers inondés. Comme ça grimpe au moins on n’a pas de passage avec de l’eau profonde, le sentier est simplement devenu un ruisseau et tout écart en dehors de celui-ci verra votre pied englouti dans un épais et spongieux tapis de feuilles mortes. Agréable.
Après avoir traversé plusieurs torrents en sautant de rocher en rocher on finit par quitter la forêt et arriver dans un alpage d’herbe jaunie et partiellement recouverte de neige. Le sentier reste donc un ruisseau, mais un ruisseau surmonté de neige. La balade prend un tournant montagnard et maintenant nous aurons non seulement les pieds mouillés mais aussi les pieds froids.
Arrivés sur la crête un vent glacial nous agresse et rend notre progression plus lente. Vu le froid on décide de ne faire qu’un petit détour pour avoir une vue sur Lake Peel mais de ne pas continuer jusqu’au bord du lac. Le temps de prendre quelques photos et on se dépêche de redescendre dans la forêt à l’abri du vent.
La vue sur le lac Cobb et la vallée en redescendant est magnifique et nous récompense de nos efforts. De l’autre côté ce sont les montagnes enneigées du parc national qui nous saluent entre deux nuages. Une fois redescendus au van nous chaussons enfin des chaussures et chaussettes sèches et mangeons un bon repas. Nous sommes épuisés. Kahurangi nous a éreintés. Nous avons réussi à faire une balade au moins, mais même pas jusqu’au bout. Une nouvelle fois la Nouvelle-Zélande nous montre à quel point nous sommes dans un environnement hostile et différent de ce que nous avons pu vivre en Australie.