J+338 — Field Hut et (presque) Table Top
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La chaîne de montagne des Tararuas est réputée pour être une région sauvage et offrant de nombreuses possibilités de randonnées à quelques encablures de Wellington, capitale et troisième ville du pays, mais aussi pour être un endroit inhospitalier, imprévisible et dangereux. Il est à l’origine de la première opération de recherche et secours de randonneurs en Nouvelle-Zélande, en 1933. Mais ce qui semble le plus effrayant à un randonneur du dimanche comme je le suis c’est bien le décès du directeur du musée national de Nouvelle-Zélande et de son amie en 2009. Quand on cherche des infos sur le coin c’est l’une des premières choses qu’on peut lire : nombre d’articles retracent les derniers moments du duo sur le chemin entre Field Hut et Kime Hut.
Pourtant sur le papier les Tararuas ne sont rien que des petites collines sans danger. La plus haute montagne ne fait que 1.500 mètres et le coin n’est pas particulièrement perdu, à moins de 100 kilomètres de Wellington, et comprenant de nombreux refuges et sentiers balisés, on y capte même avec son téléphone portable sur la grosse majorité du parc. Et cependant même deux randonneurs aguerris comme eux ont pu se retrouver en difficulté, pris dans une tempête de neige à moins d’un kilomètre de Kime Hut, et sont morts d’hypothermie. Autant dire que lire une pareille histoire quand on ne connaît pas le coin est effrayant. Mais c’est également désarçonnant, car en France nous n’avons pas du tout les mêmes préoccupations et on ne m’a jamais dit de faire attention et on ne m’a jamais conseillé d’indiquer à un garde-forestier (park ranger ici) par où j’allais passer en forêt et quand est-ce que je comptais rentrer. Pourtant en Australie et ici en Nouvelle-Zélande c’est courant. Parfois demander un simple renseignement pour une balade de deux heures dans une petite forêt ultra-fréquentée et vous vous retrouvez obligés de renseigner une fiche avec vos coordonnées, l’itinéraire prévu et trois personnes à contacter en cas d’urgence. Je ne sais pas si c’est qu’en France on est inconscients ou qu’ici ils sont sur-protecteurs, mais en tout cas il y a de quoi être troublé. Et donc ici dans les Tararuas je ne pensais pas qu’il y avait autant de dangers : les sentiers sont balisés, fréquentés, et des refuges sont présents à quelques kilomètres d’intervalle. Bref je ne voyais pas le problème, jusqu’à lire l’histoire de Seddon Bennington où on peut voir qu’un simple enchaînement de détails et hasards peut très mal se terminer.
Le sentier de Bennington et son amie c’est celui de Kime Hut, qui passe par Field Hut, un petit refuge en forêt, et Table Top, un point de vue à 1.047 mètres d’altitude. Et c’est exactement ce que nous allons faire, mais sans aller jusqu’à Kime Hut (400 mètres plus haut) : aller voir si la vue est belle à Table Top. Temps prévu aller-retour : 5 à 6 heures. Nous croisons le caretaker, qui est le gardien du parc, et qui nous annonce que vu le beau soleil qu’il fait et qui est prévu jusqu’en fin d’après-midi nous devrions pouvoir voir jusqu’à l’île sud depuis Table Top. Voilà qui nous fait saliver et qui nous donne des ailes, enfin tout du moins pour quelques centaines de mètres car nous commençons rapidement une longue ascension soutenue. Après tout nous partons d’une altitude de 100 mètres, il va donc nous falloir grimper 950 mètres d’altitude en 2 à 3 heures. Il faut donc y aller tranquillement, car l’effort est important. Sur le sentier les vues sur les montagnes des Tararuas sont magnifiques. Il fait soleil et presque chaud avec l’effort physique que nous faisons. Une belle journée s’annonce et nous ne voyons même pas les nuages sur les sommets alentour.
Puis c’est la forêt : épaisse, humide, encombrée de lianes entremêlées dans tous les sens, impénétrable. Des arbres moussus qui sont parfois si fertiles que d’autres arbres poussent sur leurs troncs. En France j’étais habitué aux forêts très claires et dégagées, fruit de siècles d’exploitation forestière qui ont détruit l’écosystème. Mais ici la forêt est encore sauvage et inhospitalière. Je commence à comprendre comment on peut se perdre là dedans et ne jamais retrouver son chemin, ou mettre des jours à parcourir quelques kilomètres.
Après 2h15 de marche nous arrivons à Field Hut, une des plus anciennes du pays, construite en 1924. La hutte en elle-même a ce petit aspect de cabane de bûcheron qui nous plaît tellement ici. Autour du refuge les arbres ont été coupés ce qui nous laisse apercevoir un ciel blanc qui n’augure rien de bon. Mais pour le moment nous faisons une pause bien méritée. Nous visitons la hutte, nous lisons le livre d’or où il faut écrire la date de son passage et son itinéraire. Nous mangeons un bout mais nous ne nous éternisons pas, car il fait bien plus froid dans la hutte que dehors. La température ne doit pas dépasser 5 ou 6°C et il fait très humide. Rester statique dans ces conditions nous refroidit vite. On se dit que pour dormir ici il faut prévoir plusieurs épaisseurs de vêtements et un bon sac de couchage. Heureusement il y a un poêle et des matelas, mais ça ne nous aide pas beaucoup dans notre étape-déjeuner.
On reprend le chemin et 500 mètres plus loin nous nous retrouvons déjà dans un épais brouillard. Il nous semble évident que continuer ici ne nous permettra pas de voir la vue promise par le caretaker mais nous enfoncera simplement dans un brouillard de plus en plus épais et froid. On décide donc de s’arrêter là et de redescendre. Ce n’est pas que nous ayons peur de subir le même sort que Bennington, surtout que Table Top n’est pas vraiment la montagne aride et désertique qui entoure Kime Hut donc le risque de s’y perdre est moindre, mais on ne voit simplement pas l’intérêt d’aller se cailler les miches pour rien. Donc tant pis on n’aura pas eu beaucoup de vues au final, mais on aura essayé au moins.
Nous retraçons le sentier jusqu’en bas et la forêt est maintenant plongée dans la brume, ce qui nous replonge dans nos souvenirs de Taranaki : la brume nous aurait-elle poursuivi depuis là-bas ?
En bas nous faisons nos adieux à Otaki Forks et reprenons la voiture pour atteindre Wellington. Nous retrouvons les joies des routes à voies rapides, des bouchons et de la pollution que nous avions laissées à Auckland. Nous visitons le musée national Te Papa, où un simulateur de tremblement de terre nous amuse beaucoup, enfin toujours plus qu’une pieuvre géante conservée dans le formol !
On repart dormir pour la nuit à 25 kilomètres de Wellington, dans un camping gratuit au bord de la mer, où un vent fort et une légère bruine nous rappellent la météo peu clémente de ces derniers jours.