J+334 — Ruapehu, volcan endormi
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Le réveil. Cet ennemi éternel. Ce faux-frère. Cette crevure qui nous sort du sommeil le plus paisible. Ce vendu de la société du productivisme qui vous rappelle insidieusement que vous êtes une sacrée feignasse et qu’il va falloir vous bouger pour participer à la marche du monde. Ce que je peux le haïr d’habitude. L’envie de le balancer en travers de la pièce. De lui mettre des coups de marteau et me rendormir tranquillement comme si de rien n’était. Oui, mais aujourd’hui, malgré qu’il nous abîme les oreilles dès 7h du matin je peux bien le tolérer, au vu du programme qui s’annonce. C’est donc le moment où à défaut d’apprécier cet outil du diable je me résouds à faire une trêve dans la guerre d’usure qui nous oppose depuis des années.
En effet la journée commence plutôt bien, malgré le ciel un peu grisâtre et la nuit un peu dérangée par les campeurs écoutant de la musique fort et tard. Après un petit déjeuner habituel composé de céréales, de jus d’orange, de lait et de thé, nous nous dirigeons vers notre première étape touristique du jour. Les Huka Falls sont des petites chutes d’eau, d’une hauteur de seulement dix mètres, mais qui sont précédées par un étroit couloir d’eau par lequel s’écoule le lac Taupo créant ainsi de très impressionnants rapides sur 100 mètres de longueur. L’eau est tellement chahutée qu’avec les remous et les bulles d’air qui s’y infiltrent elle prend une curieuse couleur bleue turquoise.
C’est un bel endroit, et en cette heure matinale nous pouvons en profiter juste avant que les premiers cars de touristes ne viennent inonder l’endroit. En effet c’est l’un des lieux les plus touristiques du pays. En plus des allées goudronnées et des ponts bétonnés qui quadrillent le lieu on peut y voir des jetboats (bateaux surpuissants) remplis de touristes faire des tours dans les vagues du bassin en aval des chutes. Je pense qu’avec un tel endroit on pourrait ainsi décrire le tourisme comme étant la méthode parfaite pour transformer un endroit sauvage et naturel en parc d’attraction sans âme. Cela étant confirmé par la boutique de souvenirs, et les toilettes payantes, symbole d’une volonté de vouloir soutirer le maximum de thunes aux visiteurs. On décolle donc à l’arrivée du premier car, après avoir constaté qu’il n’y avait de toutes manières pas grand-chose à faire ici hormis un petit tour rapide par deux points de vue.
La route nous fait longer le littoral du lac Taupo, qui nous offre sous une épaisse brume des airs de loch écossais. On ne serait d’ailleurs même pas surpris si un monstre préhistorique montrait sa silhouette à travers le mur de coton blanc qui coupe le lac.
Nous continuons notre route qui s’éloigne du lac et gagne les steppes désertiques qui bordent le parc national du Tongariro. Entre sable noir et herbe jaune nous nous rendons compte qu’un char d’assaut roule parallèlement à nous à travers la brousse. Le coin est un terrain militaire et ça se voit, mais ça surprend toujours de voir un tank rouler à quelques centaines de mètres de l’autoroute.
Au loin les sommets enneigés des volcans Ruapehu, Ngauruhoe et Tongariro dominent l’horizon et offrent un paysage magnifique. Ça tombe bien : c’est là qu’on va. Nous passons par le petit village d’Ohakune, où les boutiques de location de ski montrent que nous nous dirigeons vers la station de ski Turoa située sur le flanc de Ruapehu. Une petite route remonte d’Ohakune à travers les bois pour la rejoindre. Régulièrement des parkings invitent à se garer en bord de route et installer des chaînes aux pneus avant de continuer l’ascension. Heureusement normalement ce n’est pas le cas aujourd’hui et la route est praticable sans chaînes.
Nous nous arrêtons au parking du départ de la balade pour Waitonga Falls, qui nous emmènera au pied des chutes d’eau après 40 minutes de marche, alternant entre de jolis sous-bois et des marécages traversés par des pontons de bois bordés de petits lacs de montagne.
Joli paysage, on est plutôt conquis, mais il est déjà un peu tard et il nous reste à faire notre balade la plus ambitieuse de la journée, on rentre donc au parking pour reprendre la route pour se garer sur un mini-parking coincé entre la sinueuse route de montagne et le vide.
Nous sommes ici sur le « Round The Mountain Track », sentier qui comme son nom l’indique fait le tour de la montagne de Ruapehu. Comme il fait 4 à 6 jours et autant de nuits en hutte et qu’on n’a que quelques heures devant nous on va se limiter à un aller-retour plus modeste : c’est « Surprise Lake », indiqué pour 9 kilomètres et 5 heures de marche. Il est déjà 14h20 quand nous partons, et le soleil se couche vers 19h mais on n’a pas peur : habitués aux temps fantaisistes indiqués sur les panneaux australiens on se dit que 5 heures pour 9 kilomètres c’est un peu exagéré, on table plutôt sur 3 heures. Sauf qu’en réalité en Nouvelle-Zélande les temps indiqués correspondent plutôt à un temps de parcours réel, voir même un peu sportif au pas de course, et on va vite s’en rendre compte au long des 600 mètres de dénivelé à digérer.
On part donc assez tranquilles en admirant le sublime paysage. Il faut dire qu’il y a de quoi apprécier ce qui s’offre à nos mirettes ébahies. Le volcan Ruapehu trône au dessus de nous comme un monstre paisible mais imprévisible, du haut de ses presque 2.800 mètres d’altitude. D’ailleurs la dernière éruption a eu lieu en 2007 sans aucun signe avant coureur. Si nous sommes également passionnés par le paysage surréaliste offert par le sentier qui traverse ruisseaux, sable noir et végétation aux couleurs d’ocre nous ne pouvons que rester figés devant la majestuosité des immenses chutes d’eau traversant les moraines d’anciens glaciers, à quelques centaines de mètres de nous en amont. Nous descendons le long d’anciennes coulées de lave, nous devons escalader, grimper, crapahuter dans des rigoles creusées par les intempéries, puis sauter par dessus torrents et ruisseaux dont les dépôts riches en silice donnent cette couleur blanche si caractéristique du lieu. L’eau des torrents est froide, mais d’une transparence telle que je n’en ai jamais vu auparavant.
Certains torrents sont même déjà des rivières suffisamment larges pour nous poser quelques problèmes à la traversée. Si je réussis à traverser en sautant accroupi de rocher en rocher en rocher (pour abaisser le centre de gravité et ne pas basculer dans l’eau) en restant au sec, ce n’est pas le cas de Anne qui finira les pieds dans l’eau de Mangaturuturu River après un saut manqué. Au retour elle a compris la leçon et traversera dans l’eau glaciale en ayant pris soin de retirer chaussures et chaussettes. Alors que moi dans ma prétention habituelle je refuserais de m’abaisser à une telle bassesse et continuerais à sauter de rocher en rocher, le cœur palpitant de peur du risque de tomber, mais réussissant toujours à rester sec.
C’est aussi là que nous ferons notre premier contact avec un refuge de randonnée néo-zélandais. Mangaturuturu Hut est une hutte de moyenne taille, offrant une large baie vitrée avec vue imprenable sur Ruapehu et tout le confort moderne : poêle à bois, bois de chauffage fourni, toilettes situées dans un cadre idyllique, tables et bancs, évier, réservoir de récupération d’eau de pluie, dortoir avec matelas, et même éclairage à panneau solaire. Que demander de plus ?
Pour le prix de 15$ par nuit on comprend qu’ici faire une randonnée de hutte en hutte est très loin de la randonnée en bivouac qu’on pourrait faire ailleurs : pas besoin de porter de tente, de matelas, ou de litres d’eau. On profite de la hutte pour manger un morceau avant de continuer jusqu’à Lake Surprise. Le sentier nous fait escalader des pierriers et des cours de torrents (à sec cette fois) avant de rejoindre les classiques passerelles en bois permettant de traverser les tourbières sans trop de soucis.
Arrivés à Lake Surprise nous ne sommes qu’à la moitié de la randonnée, et nous sommes déjà crevés alors qu’il faut maintenant remonter les 600 mètres de dénivelé jusqu’au parking où est garé le van. De plus il est déjà 16h30 et le soleil se couche dans deux heures. C’est donc un peu pressés par le temps, et malgré la fatigue et l’épuisement qui se font sentir que nous escaladons la montagne à travers la roche écorchée vive aux couleurs rouges et noires. C’est ainsi qu’après 4 heures de marche et 10 traversées de torrents et rivières que nous arrivons complètement lessivés au parking. Lessivés mais heureux. Ce pays est définitivement un des endroits les plus beaux et les plus intéressants que nous ayons vu.