J+181 et J+182 — De Mt Conner à Uluru
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Après avoir passé une belle journée à Kings Canyon, nous nous arrêtons à un point de vue sur Mt Conner pour la nuit. Mt Conner c’est la plus grande méprise touristique de l’outback. En effet ce monolithe rouge qui culimine à 1000 mètres est la première formation montagneuse visible sur la Lasseter Hwy, qui mène à Uluru et Kata Tjuta. Du coup comme il est imposant et rouge, les touristes le confondent avec Uluru et le mitraillent de photos.
Ce qui n’est pas forcément un tort, Mt Conner est superbe, et bien plus grand qu’Uluru. Il est nommé Atila par les aborigènes et aurait été formé à la même époque qu’Uluru et Kata Tjuta. Hélas il est situé sur le terrain privé d’une "cattle station" qui ne permet pas d’y accéder en dehors de tours organisés inintéressants et hors de prix (200$ juste pour un tour en voiture). En demandant il est possible d’y aller pour en faire l’ascension, mais il faut toujours payer le prix du tour organisé et l’on ne dispose que d’une heure alors que l’ascension est bien plus longue. Pourquoi diable ce sublime Mt Conner ne fait-il pas partie d’un parc national ? Mystère. En tout cas on regrette que l’Australie ne possède pas une loi d’accès à la nature comme c’est le cas en Suède.
Toujours est-il que si vous traversez la route depuis le point de vue et grimpez sur la dune en face, une surprise vous y attend : une jolie vue sur Lake Amadeus, un immense lac de sel. Et comme tous les jours dans l’outback, le coucher de soleil y est simplement exceptionnel.
Le lendemain sera consacré à parcourir les dernières centaines de kilomètres jusqu’au parc national d’Uluru et Kata Tjuta. Nous marquons un arrêt à Curtin Springs pour prendre de l’essence, pour la modique somme de 2,06$ le litre. Cette cattle station qui possède aussi le terrain où se situe Mt Conner ne semble reculer devant rien pour exploiter les touristes qui passent par là.
Nous conduisons jusqu’au parc national où nous payons l’entrée : c’est 25$ par personne pour trois jours, ce qui est amplement suffisant pour explorer toutes les possibilités du parc (elles sont relativement limitées), mais si vous avez envie d’en profiter un peu plus le pass pour un an est à peine plus cher : 32,50$ par personne.
Comme nous sommes des touristes bien élevés, notre visite du parc commence par le tour du Cultural Centre, qui explique un peu la culture aborigène locale et leurs croyances (enfin c’est parfois un peu difficile, car la loi des Anangu dit que l’identité des personnes décédées ne doit pas apparaître en photo ou en écrit, du coup certains panneaux sont un peu vides), mais c’est surtout un appel à ne pas faire l’ascension d’Uluru, car il est considéré comme sacré par les aborigènes. Il est donc fortement déconseillé de monter dessus, ce qui n’empêche pas pour autant les Anangu de le faire pour leurs cérémonies. Aucune visitor centre ne serait complet sans sa boutique de souvenirs made in china, et c’est également le cas ici, sauf que la gamme est complétée par de l’art aborigène local hors de prix. Enfin, le clou de la visite c’est le cahier des regrets : dans un grand classeur sont archivées les lettres reçues par les rangers de la part de touristes qui ont emmené un caillou ou un peu de sable et qui le regrettent amèrement. En effet la lettre typique pourrait ressembler à celle-ci :
« Cher directeur du parc national, mon nom est Albert, je suis allemand et en 1996 je suis venu à Uluru alors que je n’étais qu’un enfant, et sur une aire de repos en dehors du parc national j’ai pris un caillou rouge que j’ai emmené avec moi. Récemment un ami australien m’a dit que si je n’avais pas l’autorisation des aborigènes ce caillou ne m’appartenait pas et me porterait malheur. Or, maintenant que j’y pense, depuis que j’ai ce caillou, mon père a eu un cancer des poumons, ma mère est tombée dans les escaliers, ma voiture a pris feu, je me suis fait licencier, mon chien s’est suicidé et les huissiers ont saisi mon appartement pour des dettes de jeu. Je pense que tous ces événements ne sont pas des coïncidences ou le simple produit de vingt années qui ont passé mais bien la conséquence de mon erreur. Veuillez ainsi trouver ci-joint le caillou que j’ai pris, avec toutes mes excuses. »
Bon, je sais pas vous, mais moi j’en déduis soit que les rangers du parc d’Uluru ont entrepris une grande collection de cailloux qui portent malheur, soit que certaines personnes sont sacrément superstitieuses et que par cet affichage on essaye de les exploiter et de me prendre pour un con aussi, soit que les mecs qui bossent dans les carrières dans l’outback doivent avoir une sacré poisse, et je ne parle même pas des aborigènes qui fracassent ces cailloux pour en faire des objets ou des travailleurs qui ont construit les murs du cultural centre avec le sable du coin…
Soyons sérieux une minute : je suis complètement d’accord qu’il faut respecter un lieu aussi important et historique qu’Uluru / Kata Tjuta, et donc ne pas y prendre de sable ou de pierres, afin de préserver le lieu. Mais il ne faut pas non plus se foutre de la gueule du monde : Uluru est certes le second endroit le plus touristique d’Australie avec pas moins de 500.000 visiteurs par an, mais même si chaque visiteur prenait une poignée de sable le long de la route qui y mène (pas loin de 500 kilomètres quand même), cela représenterait toujours bien moins de cailloux que ce qui est extrait des carrières et mines. Et bien moins de sable que ce qu’il n’en a fallut pour construire le cultural centre, et je ne parle même pas de Yulara, le village touristique à l’entrée du parc national, qui appartient aux aborigènes.
Bref décourager le pillage du site avec des arguments environnementaux me conviendrait, mais y mêler de la superstition derrière laquelle se cache une menace implicite (« si vous prenez un caillou dans le désert, vous serez frappé par le malheur »), c’est excessif.
On en vient donc au second point : l’ascension d’Uluru. Uluru est sacré, et son ascension est fortement découragée. Mais pas interdite. Au contraire elle est parfois fermée en fonction des conditions climatiques, donc ouverte le reste du temps. C’est là toute la contradiction et le paradoxe : l’ascension est découragée, mais autorisée. Alors pourquoi est-elle découragée ? Parce qu’elle est dangereuse ? C’est certes une ascension un peu difficile, mais beaucoup moins que celle de Mt Cradle en Tasmanie, qui est bien plus dangereuse. On peut penser par contre que vu le nombre de touristes ici il est plus probable de voir des inconscients en tongues tenter l’ascension, ce qui est moins le cas à Cradle Mountain. Mais ça ne suffit pas.
L’ascension est sacrée, et censée être réservée aux Anangu, alors pourquoi en ce cas les responsables du parc, qui sont Anangu, ne la ferment pas ? Je pense que la raison est très simple : l’ascension est un des rares intérêts d’Uluru.
S’il y a quatre ans je n’avais pas voulu faire l’ascension pour respecter la volonté des Anangu, c’est aussi que je n’avais pas vraiment réfléchi à la question, j’avais simplement fait confiance à notre guide. Aujourd’hui la question mérite pour moi d’être posée, et quelle réponse vais-je y apporter ? Je suis parfaitement d’accord pour respecter la culture aborigène, mais il faut savoir la distinguer de ce que je combat dans les autres cultures : la religion. Le fait que nous sommes en Australie et que la culture aborigène nous est étrangère à la base ne doit pas nous faire oublier qu’une bonne partie de cette culture est basée sur la religion. Or, peut-on accepter que la religion restreigne notre liberté ? Si l’église catholique déclarait le Mt Blanc une terre sacrée et vous demandait de ne pas en tenter l’ascension, qu’en penseriez-vous ? Cela vous paraîtrait-il ridicule ou censé ? En reposant la question dans ces termes, la perspective change totalement. Je ne veux pas dire qu’il ne faut pas respecter les lieux religieux et aller piétiner les autels des églises (non ça c’est le boulot de l’extrême droite française d’aller se faire exploser le crâne dans les églises), mais de mettre les choses en perspective. En quoi une personne peut me refuser l’accès à la nature ? Nature qui pour moi est un des biens les plus précieux et l’une des choses les plus sacrées justement, mais dont il faut pouvoir jouir en la respectant.
Et c’est ainsi que j’ai fait le choix de faire l’ascension d’Uluru, un choix personnel et réfléchi. Et je ne regrette pas, car l’ascension, bien que terrifiante pour moi et mon vertige, était vraiment passionnante. Le départ se fait à midi, il fait 35°C, le soleil tape fort, mais une légère brise permet de garder la chaleur supportable. Le début de l’ascension est pour moi absolument terrifiant : il faut s’accrocher à une chaîne pendant une bonne section de plus de 500 mètres, qui grimpe abruptement sur le flanc de la montagne. À gauche de la chaîne, rien pour se retenir, c’est quasiment lisse, à droite, pas mieux. Vaux mieux pas lâcher.
Cependant je me détends un peu en croisant un australien bedonnant qui descend en tongues, sans tenir la chaîne, en téléphonant d’une main et tenant un soda de l’autre. Si lui peut le faire, je devrais pas avoir trop de soucis.
Une fois la section avec la chaîne terminée, c’est plus simple : il s’agit de suivre un sentier indiqué par des pointillés blancs peints au sol. Difficile de se tromper, et c’est relativement plat, hormis quelques passages où il faut un peu escalader.
Une fois au sommet c’est le moment de souffler un peu et admirer la vue à 360° tout autour de la table d’orientation.
Mais aussi le moment de voir Anne débarquer, elle qui avait dit qu’elle resterait en bas vu la chaleur, elle a grimpé en deux fois moins de temps que moi, c’est un peu rageant. Une dernière gorgée d’eau et c’est le moment de redescendre par le même chemin en admirant la vue sur l’impressionnant Kata Tjuta, à 50 kilomètres de là.
En redescendant nous croisons des classes de lycéens qui sont en voyage de classe : trois semaines entre la Tasmanie, les Blue Mountains (vers Sydney) et Uluru. Entre ça et le nombre de fois où on a croisé des classes australiennes en train de faire des randonnées, du kayak et autres activités super cool, je vais faire des réclamations auprès de mes parents pour savoir pourquoi diable n’ai-je pas été placé dans une école australienne étant enfant. Sérieusement, le plus grand voyage scolaire que j’ai jamais fait c’est l’allemagne, pendant seulement trois jours. Remboursez-moi mes quinze années de scolarité !
La soirée sera consacrée à regarder le coucher de soleil sur Uluru, offrant une jolie gamme de rouges-orangés sur le caillou. Malgré tout difficile d’en profiter entre les nombreux touristes installés là sur leur chaise pliante, coupe de champagne à la main, et les japonais qui chacun armés de deux ou trois appareils photos sur pied (sérieusement, c’est une blague ou quoi ?) vont se poser devant tout le monde, histoire de rajouter un appareil photo de plus devant Uluru.
Nous quittons le parc après le coucher du soleil et faisons un peu de bush camping, en effet en prenant à droite neuf kilomètres après Yulara on se retrouve dans de petits emplacements, à quelques centaines de mètres de la route, cachés par des arbres. Endroit discret et tranquille où nous sommes tout seuls pour profiter du ciel étoilé et d’une nuit de repos bien mérité.
Notre second jour sur place est consacré au lever de soleil sur Uluru, que je dois qualifier de plutôt chiant et décevant, et ce sans compter les hordes de touristes rassemblés aux mêmes endroits. Puis au parcours de la balade autour d’Uluru, l’alternative recommandée par les Anangu à l’ascension. Cette balade est intéressante pour environ un tiers, c’est à dire le parcours entre les deux waterholes, mais d’un ennui ferme sur tout le reste. En effet après avoir quitté le premier waterhole le sentier s’éloigne de la base d’Uluru pour rejoindre la route pendant un kilomètre (chiant), puis s’éloigne encore plus pendant bien cinq kilomètres, pour une marche franchement chiante sous le soleil, bien loin d’Uluru et du coup pas grand chose à voir. Ce détour est expliqué par la présence de nombreuses zones sacrées autour d’Uluru, certaines sont réservées aux hommes, et d’autres aux femmes, et prendre des photos du rocher dans ces zones est interdit. Enfin on rejoint Mutitjulu waterhole au bord de la base et ça redevient un peu plus intéressant, enfin si on n’était pas crevé d’avoir fait six kilomètres chiants sous le soleil. Heureusement certains détails d’Uluru sont à couper le souffle, comme ces grottes sculptées par le vent.
Cette seconde journée se finira comme ça, en devant conclure que si le coucher de soleil est intéressant, le lever de soleil ne l’est pas vraiment, et la balade autour d’Uluru pourrait très bien se limiter à un parcours entre les deux waterholes sans rien perdre. Mais rien de cela ne rends justice à cette montagne autant que l’ascension des 300 mètres jusqu’au sommet, en tout cas à mon sens.